Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/76

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souriant qui entourait les triomphateurs : « Jeunes gens, leur dit-il, cela est bon pour une fois ; mais n’y revenez pas, ou préparez-vous à moins de complaisance et surtout à moins d’amis. »

La prédiction de ce sage inconnu se réalisa pleinement. Les essais que M. Scribe multiplia dans divers genres pendant les années qui suivirent, bien que d’un mérite égal et quelquefois supérieur aux promesses de son premier ouvrage, furent contestés. Il semble qu’il y ait dans la vie réelle comme dans les pays enchantés, aux abords de toutes les carrières et de toutes les gloires, une sorte de gardien jaloux qui veut sa proie, qui se laisse quelquefois surprendre, mais qui se venge toujours d’avoir été surpris. M. Scribe n’était pas de ceux qui s’énervent et se rebutent dans ces combats inévitables, et sans doute salutaires. Il avait le courage de son talent, ses forces grandissaient dans la lutte, et il ne devait bientôt se rappeler les épreuves de ses débuts que pour en épargner l’amertume à ses jeunes confrères. Il sortit enfin de cette Mansarde des artistes, dont il aimait, quelques années plus tard, dans un de ses gracieux vaudevilles, à peindre ou plutôt à chanter les courtes douleurs et les longues espérances : c’était lui-même qui parlait alors, avec la plus sincère éloquence de son cœur, quand il faisait dire à l’un de ses héros : « Mes amis, désormais la fortune nous sourit… nous n’avons plus qu’à marcher devant nous ; mais, quand nous serons riches et célèbres, rappelons-nous toujours les difficultés de nos premiers pas…… et, quand un jeune peintre t’apportera sa première esquisse, quand un jeune musicien te montrera sa première partition, quand un jeune confrère viendra me consulter, encou-