Page:Académie française - Recueil des discours, 1880-1889, 1re partie, 1885.djvu/1020

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PIÈCES DIVERSES.

de bohémiens, ils exigeaient que faisceaux, bagages, tout fût rigoureusement aligné. On voulait montrer l’Europe à l’Afrique, et l’ordre, c’est l’Europe ; on le prétend du moins. Sur le soir, on allumait de grands feux, non seulement pour tenir les fauves à distance, mais pour épargner aux indigènes les souffrances que leur causent des nuits trop fraîches succédant à des journées brûlantes. Une seule chose chagrinait le colonel : il ne pouvait prendre son parti du misérable accoutrement de ses tirailleurs, souvent à demi nus. En contemplant leurs loques, il songeait à la cour des miracles, et il lui en coûtait de s’avouer que tel chef de bandes africaines avait à sa suite des soldats moins dépenaillés que les siens. De qui était-ce la faute ? Il y a des gouverneurs qui donnent des ordres, mais qui négligent de s’assurer qu’on les exécute, et les bonnes intentions n’ont jamais suffi pour habiller convenablement un tirailleur.

Le colonel s’était bercé de l’espoir qu’il pourrait traverser le Petit-Bélédougou et atteindre Bamako sans brûler une amorce. Il n’était pas allé au Soudan pour s’y battre, mais pour tenir en respect les batailleurs. À son vif regret, les nouvelles alarmantes qu’il reçut dissipèrent son illusion. Il n’en pouvait plus douter, les Bambaras du Bélédougou se disposaient à lui barrer le passage ; il était obligé ou de s’ouvrir un chemin de vive force ou de prévenir l’ennemi en l’attaquant chez lui, et ce qui l’affligeait davantage, il fallait en découdre avec des gens qui sont nos amis, nos alliés naturels.

On ne choisit pas toujours ses amis, surtout en Afrique, et ceux que nous avons au Soudan laissent beaucoup à