Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 1re partie, 1895.djvu/70

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essentiellement différentes ; mais cela ne suffit point pour établir que nous n’avons pas aimé les mêmes choses, les mêmes compagnies, — les mêmes femmes. Bien loin de là, je pense que nous étions faits tous deux pour nous laisser charmer par les mêmes simplicités sauvages autant que par les mêmes élégances ; un commun dégoût nous unissait d’ailleurs contre tout ce qui est grossier ou seulement vulgaire — et peut-être aussi, il faut l’avouer, un commun éloignement trop dédaigneux, pas assez tolérant, à peine justifiable, pour ce qui tient le milieu de l’échelle humaine, pour les demi-éducations et les banalités bourgeoises.

Je garde précieusement, comme d’un peu étranges reliques, des lettres de ce mondain exquis, me disant à quel point le berçaient ces récits lointains où n’apparaissent que mes matelots rudes et mes très petites amies à peine plus compliquées de civilisation que des gazelles ou des oiseaux.

Quant à ses femmes à lui, marquises ou duchesses, — grandes dames toujours, et non par le titre seul, mais par la haute fierté de cœur et par l’affinement extrême, — de ce que, jamais encore, on ne les a vues passer dans mes livres, il serait bien inexact de conclure que je les méconnais et que leur charme m’échappe.

Non, les milieux de prédilection d’Octave Feuillet étaient au contraire les miens. Et j’incline fort à penser que, si les hasards de la mer l’avaient mis comme moi en contact habituel avec les rudes et les simples, qui ont leur haute noblesse, eux aussi, et ne sont presque jamais vulgaires, il les aurait aimés.

En notant ainsi nos tendances communes, j’ai l’impres-