Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’était tout simplement : La Variété. La Variété vécut un peu plus que les roses, du printemps de 1840 au printemps de 1841. Dans chacune des douze livraisons, j’ai lu des poésies, des études littéraires, des nouvelles de Leconte de Lisle. Il n’en a rien réimprimé. Si j’osais, je dirais qu’il a eu raison. On y trouve quelques vers d’une belle venue et quelques idées tout à la fois justes et originales ; mais la langue est encore sans fermeté, sans précision, sans couleur. La pensée décèle l’âme mais non la personnalité d’un poète. En vain Leconte de Lisle a traversé les océans et vécu sous le ciel des tropiques, le sentiment de la nature n’apparaît point chez lui. En vain les Orientales l’ont enivré, il procède bien plus de Lamartine que de Victor Hugo, et chacun sait que seul Lamartine a pu faire de beaux vers lamartiniens. En vain il admire André Chénier, son inspiration demeure toute chrétienne. Lui qui écrira Hypatie et la Vénus de Milo, il reproche véhémentement à l’auteur de l’Aveugle d’avoir eu « les dieux antiques et les poètes grecs comme unique foyer de lyrisme intérieur ». [1]

Encore que Rennes ne soit pas précisément une ville enchanteresse, Leconte de Lisle s’y plaisait grâce au milieu intellectuel où il vivait. Il aimait d’ailleurs la Bretagne pour son charme sévère et mélancolique ; il parcourut à pied tout le littoral depuis le Mont-Saint-Michel jusqu’à Quiberon. Dans ce pays de landes, de roches, de forêts et de brumes, il ne regrettait pas l’île natale à la lumière d’or. Il se souvenait que Bourbon n’est point un paradis

  1. Article sur André Chénier, La Variété, 5e livraison.