Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/196

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un révolté, un pyrrhonien implacable, le poète altier et tragique du pessimisme.

En l’automne de sa vie où il trouva enfin la renommée avec la quiétude du lendemain et qui lui semblait d’autant plus doux que les autres saisons lui avaient été plus rigoureuses, un certain apaisement se produisit chez Leconte de Lisle. Il paraissait naïvement heureux qu’on l’admirât, qu’on lui fit fête, qu’on l’aimât. Peut-être est-ce sous l’influence inconsciente de ces sentiments qu’il abandonna l’épopée vengeresse des États du diable, dont on n’a retrouvé qu’un seul fragment. Mais cela est une hypothèse gratuite, car si l’homme semblait un peu rasséréné, le penseur demeurait douloureux et irrité. II conservait son amertume, ses indignations, ses révoltes. Les moindres choses l’exaspéraient, par exemple le débordement du bas naturalisme et les fantaisies passagères des décadents. « Sous ma sérénité apparente, écrivait-il à un ami, je suis plein de mépris et de colère, de sorte que mon impuissance à réfréner et à châtier ces inepties me rend absolument malheureux. » Il ne pouvait comprendre que l’on se plût entre le ruisseau et la sentine, lui qui avait aimé le parfum des fleurs tropicales, les embruns salubres de l’Océan, l’air pur des plus hauts sommets. Il ne concevait point que pour être original il fallut bouleverser la prosodie, torturer la syntaxe et grossir le vocabulaire de barbarismes inintelligibles, lui qui, après Ronsard, après Chénier, après Hugo, avait créé des rythmes et des mètres, s’était fait un vers absolument personnel, ample, nombreux, sculptural, et avait su exprimer tous les sentiments et toutes les idées de