Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/436

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Il avait été déclaré à l’état civil comme enfant né de père inconnu ; ce n’est point une indiscrétion de le dire, car lui-même n’en faisait point mystère. Il avait huit ans, lorsque Dumas père, pris de scrupules, le reconnut et résolut de se charger de son éducation. Ce changement d’état donna lieu à une scène pénible. L’enfant fut enlevé à sa mère manu militari et mis en pension comme interne, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. « De là, a-t-il raconté plus tard, j’ai passé vers neuf ans, à la pension Saint-Victor, dirigée par M. Goubaux, ami et collaborateur de mon père dans Richard Darlington. Cette pension Saint-Victor, qui contenait deux cent cinquante pensionnaires et dont j’ai essayé de peindre les mœurs plus que bizarres dans L’affaire Clémenceau, occupait tout l’emplacement où se trouvent aujourd’hui le Casino de Paris et le Pôle-Nord… » Pendant son séjour dans cet établissement, il eut cruellement à souffrir de la sauvage intolérance de ses camarades, qui avaient appris sa naissance irrégulière et en prenaient prétexte pour lui infliger de féroces humiliations. On retrouve, en effet, dans L’affaire Clémenceau, un écho tout vibrant encore de l’indignation d’Alexandre Dumas, au souvenir des raffinements de cruauté imaginés par cette enfance sans pitié : « De cette première empreinte que j’ai reçue de l’humanité, dit son héros, mon âme ne s’est jamais tout à fait remise, et je ne veux pas me montrer meilleur que je ne suis. Non, je n’ai pas pardonné à ces premiers ennemis. Ma rancune ne vient pas de s’éveiller tout à coup, sous l’évocation de souvenirs pénibles… elle ne s’est jamais endormie complètement, même aux jours les plus heureux de ma vie… » Cela n’est