Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/460

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avons joué enfants, qu’ils aient mêlé leurs premiers rêves de jeunesse aux horizons où s’égarent les nôtres, que leurs travaux, leurs bonheurs, leurs chagrins, se soient associés au décor où nous nous mouvons. Il faut que nos morts soient là autour de nous, dans les rues, dans la campagne, que les plus hautes et les plus humbles influences émanées des choses nous aient façonnés à travers eux de telle manière que le climat de notre ville soit entrée en nous comme son histoire et que, partout ailleurs, nous nous sentions un peu étrangers, dépaysés, pour employer le terme expressif dans lequel le langage populaire résume cette souffrance de la créature arrachée à l’atmosphère héréditaire, à cette communion sacrée du sol et de l’homme, hors de laquelle il n’y a ni foyer durable, ni unité d’action nationale, ni santé de l’esprit, ni certitude de la volonté. Hélas ! Dans notre France contemporaine, centralisée à l’extrême, combien ont été privés de cet appui premier ! À combien fut-il donné, qui l’ont méconnu ! Vous, Monsieur, vous aviez le bonheur d’être d’un pays. Vous avez eu la sagesse de vous y rattacher autant que la vie vous l’a permis. Le meilleur de votre talent vient de ce bonheur et de cette sagesse.

Peu s’en est fallu cependant que cette communion avec la terre natale ne vous fût refusée, à vous aussi. Vous étiez le fils d’un fonctionnaire, et, comme tel, condamné à toutes les chances d’une existence vagabonde, qui vous eût, au gré des bureaux, promené du sud au nord et de l’est à l’ouest. Votre mère fut la fée protectrice qui vous sauva de ce danger. Vous avez raconté vous-même, dans ce délicat volume de souvenirs que vous avez intitulé Années de Printemps, avec quelle nostalgie elle se languissait loin