Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/463

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parlementaires et ses jardins en terrasse ! Comme on sent que tous les aspects de cette rue du Bourg où vous demeuriez se sont fixés dans votre imagination d’enfant et quel peuple de fantômes habite encore pour vous ces maisons du XVIe siècle, avec leur perron en pierre, leur grille en fer forgé et les fantastiques gargouilles de leurs chéneaux ! Là, vous avez connu la fin de la province qu’aimait Balzac, celle des anciens émigrés, des chevaliers de Saint-Louis, survivant à leurs espérances, des vieilles chanoinesses, « minces et décolorées comme des fleurs sèches », des vétérans de la Révolution et du premier Empire. Parmi ces figures, deux se détachent avec un relief qui prouve à quel degré leur influence s’est imprimée dans votre jeune sensibilité, celle de votre grand-père d’abord, l’ancien capitaine de dragons de la Grande Armée, devenu, après les guerres, un simple inspecteur des forêts, amant passionné de son métier et qui vous a initié au culte des bois, puis la figure de votre arrière-grand’tante, une vieille demoiselle restée fille pour une romanesque fidélité à un sentiment contrarié, et qui était, elle, une amie passionnée des fleurs. Avec l’un, et quand il vous emmenait dans son bois du Petit-Juré, vous appreniez, suivant votre propre expression « à communier avec la terre ». Un paganisme inconscient s’éveillait en vous, à sentir circuler l’immense et silencieuse sève du monde dans les branches et les feuillages des arbres qui frémissaient sur votre tête, dans les mousses sur lesquelles vous vous étendiez, dans les brins d’herbe parmi lesquels vos regards curieux suivaient le pullulement de la vie animale. La profonde unité créatrice de l’univers se révélait à vous, et le poète encore à naître