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27 mai 1998
8039
JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Accord sur la Nouvelle-Calédonie
signé à Nouméa le 5 mai 1998


NOR : PRMX9801273X


Préambule

1. Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommée « Nouvelle-Calédonie », le 24 septembre 1853, elle s’approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d’Europe et d’Amérique, elle n’établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés, au cours de l’année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait, des actes unilatéraux.

Or, ce territoire n’était pas vide.

La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés kanak. Ils avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, la coutume qui organisait le champ social et politique. Leur culture et leur imaginaire s’exprimaient dans diverses formes de création.

L’identité kanak était fondée sur un lien particulier à la terre. Chaque individu, chaque clan se définissait par un rapport spécifique avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière, et gardait la mémoire de l’accueil d’autres familles. Les noms que la tradition donnait à chaque élément du paysage, les tabous marquant certains d’entre eux, les chemins coutumiers structuraient l’espace et les échanges.

2. La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s’est inscrite dans un vaste mouvement historique où les pays d’Europe ont imposé leur domination au reste du monde.

Des hommes et des femmes sont venus en grand nombre, aux XIXe et XXe siècles, convaincus d’apporter le progrès, animés par leur foi religieuse, venus contre leur gré ou cherchant une seconde chance en Nouvelle-Calédonie. Ils se sont installés et y ont fait souche. Ils ont apporté avec eux leurs idéaux, leurs connaissances, leurs espoirs, leurs ambitions, leurs illusions et leurs contradictions.

Parmi eux certains, notamment des hommes de culture, des prêtres ou des pasteurs, des médecins et des ingénieurs, des administrateurs, des militaires, des responsables politiques ont porté sur le peuple d’origine un regard différent, marqué par une plus grande compréhension ou une réelle compassion.

Les nouvelles populations sur le territoire ont participé, dans des conditions souvent difficiles, en apportant des connaissances scientifiques et techniques, à la mise en valeur minière ou agricole et, avec l’aide de l’État, à l’aménagement de la Nouvelle-Calédonie. Leur détermination et leur inventivité ont permis une mise en valeur et jeté les bases du développement.

La relation de la Nouvelle-Calédonie avec la métropole lointaine est demeurée longtemps marquée par la dépendance coloniale, un lien univoque, un refus de reconnaître les spécificités, dont tes populations nouvelles ont aussi souffert dans leurs aspirations.

3. Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière. Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine.

Des clans ont été privés de leur nom en même temps que de leur terre. Une importante colonisation foncière a entraîné des déplacements considérables de population, dans lesquels des clans kanak ont vu leurs moyens de subsistance réduits et leurs lieux de mémoire perdus. Cette dépossession a conduit à une perte des repères identitaires.

L’organisation sociale kanak, même si elle a été reconnue dans ses principes, s’en est trouvée bouleversée. Les mouvements de population l’ont déstructurée, la méconnaissance ou des stratégies de pouvoir ont conduit trop souvent à nier les autorités légitimes et à mettre en place des autorités dépourvues de légitimité selon la coutume, ce qui a accentué le traumatisme identitaire.

Simultanément, le patrimoine artistique kanak était nié ou pillé.

À cette négation des éléments fondamentaux de l’identité kanak se sont ajoutées des limitations aux libertés publiques et une absence de droits politiques, alors même que les kanak avaient payé un lourd tribut à la défense de la France, notamment lors de la Première Guerre mondiale.

Les kanak ont été repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays, ce qui ne pouvait chez un peuple fier et non dépourvu de traditions guerrières, que provoquer des révoltes, lesquelles ont suscité des répressions violentes, aggravant les ressentiments et les incompréhensions.

La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu’elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun.

4. La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps.

Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. Elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales. Si l’accession des kanak aux responsabilités demeure insuffisante et doit être accrue par des mesures volontaristes, il n’en reste pas moins que la participation des autres communautés à la vie du territoire lui est essentielle.