Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/248

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M. de Villebrais luttait contre le courant avec l’énergie du désespoir ; sa tête coulait parfois sous la surface, sa bouche s’emplissait d’eau, sa respiration s’épuisait ; quand il avait assez de force pour soulever sa poitrine, il jetait un de ces cris suprêmes qui glaçaient d’effroi Mme de Châteaufort. Un dernier effort lui fit atteindre le vieux saule miné par la rivière, ses doigts s’attachèrent autour d’une branche comme des liens de fer, il voulut se hausser sur le tronc ; mais la branche plia, un cri d’horreur jaillit de ses lèvres bleuies, et son visage disparut sous les flots. Quand Belle-Rose se fut assuré de la mort de M. de Villebrais, il appela le garde et lui confia le cadavre du noyé ; puis il reprit avec Mme de Châteaufort et Pierre le chemin du pavillon. En ce moment, on entendit au loin le galop précipité de trois ou quatre chevaux : c’étaient les gens de M. de Villebrais qui, se voyant privés de leur chef, regagnaient leurs cantonnements. Mme de Châteaufort se retrouva un instant après seule avec Belle-Rose. La mort imprévue et terrible de M. de Villebrais avait encore augmenté la tristesse profonde et l’amer découragement dont elle se sentait frappée. La désolation était dans son âme : elle avait vu l’agonie de M. d’Assonville ; elle venait de voir le cadavre de M. de Villebrais ; elle voyait devant elle Belle-Rose pâle et morne, qui portait dans son cœur le deuil de son père. Elle comprit que l’heure de la séparation avait sonné, et appelant à son aide tout ce qui lui restait de force, elle tira de sa poche un petit paquet cacheté.

– Voici, dit-elle à Belle-Rose, les papiers qui constituent l’état du fils de M. d’Assonville ; quand il sera d’âge à choisir une carrière, il pourra le faire en gentilhomme. À ces papiers j’ai joint une lettre qui vous donne tout droit sur lui.

– Mais vous, Geneviève ? dit Belle-Rose.

– Moi ? je l’embrasserai, c’est la seule grâce que je vous demande.