Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/270

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– Il est à la Bastille ! qu’attendez-vous, madame ? dit Geneviève.

– M. d’Albergotti est ici, dit Suzanne d’une voix mourante.

– Mais c’est de Belle-Rose qu’il s’agit ! Me comprenez-vous ? Quoi ! tant de malheur sur sa tête et tant d’indifférence dans votre cœur !

Suzanne leva vers le ciel ses yeux remplis de larmes.

– Il vous aime et vous hésitez ! reprit Geneviève.

– C’est parce qu’il m’aime que je n’hésite plus ! s’écria Suzanne en relevant la tête : il faut que je reste digne de cet amour. Lui-même me repousserait si je quittais cette maison où l’honneur me retient. Si j’étais libre, je serais près de lui ; mariée, je reste où est mon mari.

– Voilà donc comme vous l’aimez, ô mon Dieu ! s’écria Geneviève, les mains tendues vers le ciel et le regard étincelant ; s’il m’avait aimée comme il vous aime, j’aurais tout oublié, moi, tout !

– Chacune a son cœur, dit Suzanne ; Dieu nous voit et Dieu nous juge.

– Oh ! vous ne l’avez jamais aimé !

– Je ne l’ai pas aimé ! s’écria Suzanne qui se tordait les mains de désespoir ; mais savez-vous que depuis mon enfance ce cœur n’a pas eu un battement qui ne soit à lui, que sa pensée est tout ensemble ma consolation et mon tourment, que je n’existe que par son souvenir, que je l’aime si profondément que je ne voudrais pas lui apporter une vie où l’ombre d’une faute eût passé, une âme que le souffle du mal eût ternie ; que je veux rester forte et pure pour qu’il se souvienne de moi. Je ne l’aime pas, dites-vous ? Mais laquelle de nous deux l’aime le mieux ? Si c’était la volonté de Dieu que je fusse à lui, ma main s’unirait à la sienne sans trouble et sans remords ; il lirait dans ma vie comme dans une eau limpide… Vous dites que je ne l’aime pas ! il a aimé et j’ai souffert, il a oublié et je me suis souvenue !… Je vis dans ma maison comme dans un