Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/275

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qui n’était pas sans douceur et sans charme. Il avait eu sa part de souffrances et de joies : il avait aimé, il avait pleuré ; des lèvres adorées avaient murmuré son nom gardé comme un trésor au fond du cœur ; il savait ce que la vie compte d’heures d’ivresse et de jours de larmes : il pouvait partir. Les yeux de Belle-Rose ne quittaient pas les dernières clartés qui brillaient comme des diamants épars sur du velours noir ; il en était venu à s’imaginer, tant la nuit et la solitude apportent de superstition au cœur de l’homme, qu’elles étaient l’image de la vie de Suzanne et de Geneviève, et de la sienne aussi. Il avait choisi pour lui une lumière large, mais voilée, qui allait s’affaiblissant d’heure en heure ; Mme de Châteaufort était représentée par une étincelle ardente, qui projetait un jet de flamme ; et Mme d’Albergotti revivait dans une lueur blanche, pure et scintillante comme une goutte de rosée.

– Si l’une de ces étoiles vient à disparaître, se disait Belle-Rose, c’est que, de Geneviève ou de Suzanne, l’une des deux doit m’abandonner ; si la mienne s’efface, c’est que je dois mourir.

Il en était là de ses réflexions, lorsqu’il entendit crier les verrous de sa prison ; la porte s’ouvrit, la clarté rougeâtre d’une torche inonda sa chambre, et Belle-Rose vit, en se retournant, le lieutenant de la Bastille que précédait un guichetier et que suivaient trois ou quatre soldats.

– Monsieur, lui dit l’officier, j’ai ordre de vous emmener en la chambre du conseil, où vous attend M. le gouverneur.

– Je vous suis, répondit Belle-Rose.

Son escorte enfila un long corridor, au bout duquel elle descendit un escalier qui conduit dans la cour intérieure de la Bastille. Elle la traversa, passa sous un porche, monta un autre escalier et s’arrêta devant une salle voûtée qui dépendait du logement militaire du gouverneur. Le gouverneur se tenait debout près d’un