Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

– Et tu ne lui rendis rien ?

– Oh ! si, je lui cassai la tête d’un coup de pistolet.

– Et il en mourut ?

– Parfaitement.

– De quoi diable te plains-tu donc ? tout le malheur a été pour lui, ce me semble.

La logique de ce raisonnement calma les craintes de la Déroute, mais sa gaieté ne put revenir tout entière. On courut quelques postes encore ; un peu plus de la moitié de la distance était franchie, lorsqu’à Nouvion, le cheval de Cornélius butta contre une pierre et s’abattit. En cet endroit la route était raboteuse ; l’Irlandais se meurtrit les mains et les genoux ; il voulut se relever et ne put faire un pas ; il avait un pied foulé. La Déroute s’arracha une poignée de cheveux.

– Tu avais raison, mon pauvre ami, lui dit Cornélius, voilà le malheur arrivé.

– Plût à Dieu que ce soit le seul ! reprit le sergent en regardant du côté de Paris.

Cependant, comme la Déroute était un homme qui avait une philosophie pratique sur laquelle les pressentiments n’agissaient pas, il fit de son mieux pour aider Cornélius à remonter à cheval, et on poussa jusqu’à Bernay. L’aubergiste de l’endroit possédait un vieux carrosse à moitié vermoulu qui lui venait d’un procureur, qui le tenait d’une comédienne qui l’avait eu d’un gentilhomme. L’aubergiste estimait que son carrosse était la merveille la plus rare du temps. La Déroute fut droit à lui la bourse à la main. Aux premiers mots du sergent, le vénérable hôtelier se récria. La Déroute ajouta cinq louis à la somme qu’il comptait sur le coin de la table. L’aubergiste voulut répliquer ; ce furent dix louis qui tombèrent de la bienheureuse bourse ; il murmura doucement, et l’argumentation du sergent se haussa à un point d’éloquence si fabuleux, que le carrosse sortit de la remise, au grand étonnement de la population.