Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/101

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on lui servait comme un animal carnassier sur la proie immonde qu’il découvre dans un carrefour. Cela l’indignait, mais il cédait aux appels de la faim. Il ne retrouvait un peu de bonne humeur que lorsqu’il apercevait Mathéus ; un flot de sarcasmes partait alors de ses lèvres pâlies par la souffrance.

Par un raffinement de cruauté, Mathéus, qui jusqu’alors avait laissé Renaud dans sa tour, le fit transporter dans une pièce du bâtiment central d’où il pouvait assister aux repas de la garnison. Le cliquetis de la vaisselle, le choc des verres, arrivaient aux oreilles du prisonnier comme le joyeux refrain d’une chanson ; le fumet des mets qu’on servait en abondance montait à ses narines et redoublait les angoisses de son estomac.

— Voyons, disait alors Mathéus, une prière, monsieur le marquis, et je vous jette un os.

Renaud se redressait.

— C’est prodigieux comme la gourmandise vous va mal, gracieux seigneur…, disait-il ; toujours plus laid… même en mangeant !

Dans cette lutte terrible, l’avantage n’était pas toujours pour Mathéus ; on riait autour de lui ; plus d’un soldat le regardait du coin de l’œil, et ce phénomène qui s’était produit une fois déjà sur la route de Rabennest se reproduisait de nouveau. Quelques-uns des gardiens moins endurcis faisaient secrètement des vœux pour la délivrance d’un prisonnier qui supportait si gaillardement la mauvaise fortune.

Mathéus s’en apercevait, et sa fureur en était augmentée.

Chaque soir un médecin entrait dans la chambre de Renaud, lui tâtait le pouls et hochait la tête.

— Hum ! disait-il, le pouls est violent, dur, impétueux… Le régime est trop succulent… Un peu de diète vous ferait grand bien.