Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/284

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hurlement semblable au croassement du corbeau ; puis, dans un dialecte juif corrompu, elle se mit à lancer des injures hébraïques à la pauvre fille, lui reprochant l’impudence avec laquelle elle attirait les chrétiens dans sa boutique pour enlever les pratiques à sa propre mère, et la voua à tous les tourments. La vieille furieuse finit cependant par perdre l’haleine qui, malgré la chaleur, lui sortait de la bouche en fumant comme en hiver.

Elle essaya en vain d’ameuter contre sa victime deux gamins qui passaient, en leur promettant des gâteaux pour lui dire des injures. Esther était rouge de honte, mais elle ne répondit rien ; enfin un acheteur vint, et la vieille se retira. L’héritier du Majorat demanda quelle était cette vieille avec son corbeau sur la tête.

— Ma belle-mère, répondit Esther ; vous aurez sans doute pris pour un corbeau son bonnet de drap noir avec ses deux longues brides.

Maintenant qu’il l’entendait de plus près, l’héritier du Majorat reconnut le son de sa voix ; la ressemblance de cette fille avec sa mère le frappait encore plus que lorsqu’il la voyait par la fenêtre. Esther était plus jeune, mais pas plus fraîche ; son visage délicat était empreint d’une pâleur mélancolique, qui