Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/149

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vous savez peindre des tableaux, Monsieur, pourquoi venez-vous chez moi ? » Un peu plus tard, ayant sans doute à se plaindre des modelés de ses figures, il lui enjoignait de faire une boule : « Quand vous saurez modeler une boule, Monsieur, vous en saurez autant que moi ! Que de fois n’ai-je pas entendu le récit de ces scènes, restées célèbres par les mots souvent absurdes, mais toujours sublimes, qui naissaient de l’impétuosité du débit : « N’effacez donc pas votre dessin ! » me disait un jour Paul Flandrin, qui, se tournant vers Brémond, ajoutait d’un air de rappel : « M. Ingres aimait les faux traits ? » et Brémond, le regard illuminé et souriant, approuvait. D’autres fois, comme j’avais à peindre un noir dans une étude, mon vieil ami venait à moi et me disait : « Mais, mon enfant, tu crois que ce noir est noir sous la lumière. De quel ton le peindrais-tu dans l’ombre ? Si M. Ingres était là, il te dirait : « Mettez votre chapeau auprès, Monsieur, et dites-moi lequel est le plus noir. Eh bien ! Monsieur, il y a encore plus noir. » Il était possédé de la volupté du contour, et c’est par là qu’il capta pour toujours mon admiration. Quand il parlait d’un bras de femme replié, on avait comme un mirage de tous les plus beaux bras de femmes passés, présents et futurs : « Vois-tu, me disait-il, comme cette épaule s’attache à la poitrine ? Quels jolis petits plis de la peau, près du sein ! Ah ! M. Ingres aimait ces petits plis !... » Livré à lui-même, la folie de la couleur le prenait tout entier et il peignait des figures de femme qui sont