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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

jeunes intelligences. Vous pétrissez, de vos doigts savants, les esprits incultes. Et vous faites s’ouvrir les âmes aux beautés du monde…

Sans sourciller, M. Hyacinthe reçoit ce couplet en pleine figure. C’est la première fois qu’on lui parle ainsi. Des horizons inconnus brillent devant lui. Il gonfle sa poitrine comme un soufflet d’harmonium et exhale :

— C’est pourtant vrai que je fais tout cela !

— C’est si vrai, poursuit Arlette, que je n’ai jamais pu contempler un professeur sans être pénétrée de respect…

— Vous ?

— Oui… Qu’est-ce que c’est que le professeur, sinon le semeur d’idées ?… La graine que vous jetez peut être longue à germer. Le moment vient toujours de la moisson radieuse. Un homme accomplit-il une action d’éclat, qui sait si ce n’est pas parce qu’à cette minute-là fleurit une des semences que l’éducateur a déposées en lui alors qu’il n’était qu’un tout petit enfant ?…

M. Hyacinthe sourit, mais en sceptique. Le bel enthousiasme de la jeune fille l’amuse, mais elle ne le convainc pas. Il sait trop que la vérité est plus cruelle. Comme un des principes de sa vie est de traquer l’erreur partout où elle s’embusque, il juge utile de répliquer, au risque de tuer une illusion :

— Vous venez de peindre, mademoiselle, le portrait du professeur. Vous avez pris les couleurs les plus flatteuses. Malheureusement votre portrait n’est pas ressemblant…

— Comment ? dit Arlette, qui feint l’étonnement.

— Certes, si les élèves étaient attentifs et studieux, notre mission serait à peu près celle que vous avez imaginée. Notre joie serait intense de préparer la nourriture intellectuelle de la jeunesse en disséquant et en assaisonnant pour elle les chefs-d’œuvre…

— Ces musées dont vous êtes les gardiens !

— Mais les collégiens sont des cancres, des mauvais garnements, qui n’ont pour tout génie que celui du mal. Ils ne comprennent rien parce qu’ils ne veulent rien comprendre. À la fin de la récréation, je m’avance vers eux, en frappant des mains, pour leur indiquer