Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/216

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Le Père se tenait debout, les bras croisés, et son regard fouillait l’esprit coupable.

― Croyez-vous avoir un ange gardien !

― Oui, mon père.

― Implorez-le, monsieur ! Implorez-le ! Je vous y engage.

Cela dit sévèrement, le Père secoua ses boucles et commença de marcher à travers le carreau rouge de la cellule, en prenant soin de poser les semelles sur les ronds de sparterie. Omer s’agenouilla devant la croix de chêne qui décorait la chaux du mur, entre une centaine de gros livres entassés sur des rayons. Des cimes d’arbre, et les nuages en course demeuraient visibles dans l’œil-de-bœuf. À des patères étaient accrochées deux vieilles soutanes, aussi verdies et sordides que celle flottant au dos du jésuite. Il s’assit dans un fauteuil mal rempaillé, posa les coudes parmi les paperasses du guéridon et sembla prier avec ferveur.

Omer redouta mille cataclysmes : le renvoi du collège, l’internement au cachot. Sans doute, on avait surpris dans son pupitre, entre les feuilles de l’atlas, Julie ou comment j’ai sauvé ma rose, le livre licencieux prêté par Édouard. C’en était fait. Il désolerait sa mère. Son bisaïeul le renierait. L’enrôlerait-il à bord d’un navire, comme mousse ? On l’en menaçait quand ses notes étaient mauvaises ! Oh ! Les coups de garcette, et les pays lointains, et le froid des tempêtes, et les naufrages, et les requins, et les cannibales ! La chance de Robinson Crusoë le servirait-elle, du moins ? Échouerait-il sur une côte hospitalière, et le navire sombrerait-il assez près du rivage pour qu’il pût s’approvisionner avant la dispersion de l’épave ?… D’ailleurs il avait mérité sa peine. Vouloir être évêque, vouloir représenter Dieu sur terre, vouloir prononcer le vœu de chasteté, et succomber à la tentation de feuilleter en cachette un mauvais livre qui lui avait tout