Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/274

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Lyrisse, décrivait son ami Mirabeau. Député de la noblesse, lui-même, au Jeu de Paume, avait juré.

Le moulin de Neuville termine une longue rue droite. Avant sa porte, en plein air, les planches retentissent sous les coups des charrons et des tonneliers qui, les manches relevées, travaillent, et n’effraient guère la curiosité des poules. Là, une après-midi, l’oncle et le neveu rejoignirent la caisse jaune, les roues noires, le bidet blanc d’un tapecu conduit par un svelte monsieur à face menue sous des cheveux légers, très élégant avec son habit à revers et son pantalon de nankin serré dans des bottes à cœur. M. Boredain, autrefois sergent aux vélites de la garde, avait en Russie, à l’ambulance de Borodino, pansé une écorchure de l’oncle Edme. Plus tard, lieutenant, il avait défendu le pont de Liepzig. Aussi ne manqua-t-il pas, en saluant le capitaine, de fredonner la chanson qui servait au ralliement des impérialistes :


Te souviens-tu de ces plaines glacées
Où le Français, abordant en vainqueur.
Vit sur son front les neiges amassées
Glacer son corps sans refroidir son cœur ?
Souvent alors, au milieu des alarmes,
Nos pleurs coulaient, mais notre œil abattu
Brillait encore quand on volait aux armes :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?


Derrière l’auvent de sa boutique, l’emballeur répondit :


Te souviens-tu qu’un jour notre patrie
Vivante encor, descendit au cercueil


Et, d’une fenêtre la jalousie ayant grincé, des voix gamines continuèrent :


Et que l’on vit dans Lutèce flétrie
Des étrangers marcher avec orgueil ?…