Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/352

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Vehme pour établir dans chaque boutique ses novices, ses majeurs et ses mineurs, ses prêtres et ses régents, ses mages et ses hommes-rois. Il faut dire que cette organisation jésuite lui concilia les cervelles allemandes. On n’entrait plus dans une auberge sans que le garçon apportant la choucroute vous découvrît qu’il était « frère insinuant », qu’il recrutait pour les grands mystères et qu’il était convenable de l’appeler Raymond Lulle, Spartacus ou Solon ; le coche ne vous menait pas en Autriche mais en Égypte, à Wurtzburg mais à Carthage, parce que les Illuminés avaient changé les noms des pays et des villes. On ne mangeait plus une saucisse de Francfort, mais une « thébaine ». Par ma foi, je fus moi-même introduit sous le nom de Marc-Aurèle dans une chambre obscure où un escogriffe me pointa son épée contre le cœur, en me faisant jurer mille choses horribles, parmi lesquelles je promis de résister — écoute-moi ceci — aux ennemis du genre humain et de la société civile. Civile ! entends-tu, petit ? Le colon latin, le maçon du camp romain contre le leude !… Dans les réunions, on lisait les Évangiles, Confucius et Platon, on enseignait que l’aveuglement des princes, des prêtres s’oppose au triomphe de la vertu. Il fallait, par conséquent, rassembler, autour des souverains, une légion de philosophes infatigables qui les dirigeraient selon les plans de l’Ordre vers le bonheur de l’humanité. Voilà qui n’était point mal. Voltaire et Diderot avaient été désignés pour fréquenter Frédéric de Prusse et Catherine de Russie. Nous autres, chevaliers écossais, nous devions entreprendre cette lutte contre l’esprit des monarques… Plus tard, homme-roi, j’ai lu les livres de Spinoza, j’ai conçu l’unité de la matière et de l’esprit ; j’ai reçu, dans une salle tendue de rouge, des bourgeois tremblants que je conviais à choisir entre le trône, la couronne et le sceptre, l’or, l’argent et les joyaux épars sur une table, ou bien, ce