Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/464

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gogne toutes les cerises du compotier mis devant elle, encore qu’on apportât seulement le rôti de faisandeaux.

― Servez plus vite ! ― ordonna la comtesse.

Omer fut honteux de sa sœur. Elle colportait les habitudes de Dieudonné Cavrois. Avant que les plats fussent inclinés, par le maître d’hôtel devant la première personne à servir, elle s’informait avidement de leur contenu. Dès que sa tante mordait au premier morceau, Denise l’interrogeait sur la succulence du mets, le jugeait dès lors à haute voix, le condamnait ou le vantait, bestiale, les yeux ivres de concupiscence. À l’arrivée du plat, elle retournait les tranches, choisissait à l’aise, insoucieuse de l’attente d’autrui. Elle confisqua presque toute la crème de l’entremets, et laissa la croûte seule aux convives assis après elle, à droite.

― Quelle bel appétit, quelle jolie santé ! Comme elle est saine, ta sœur ! ― proclamait Édouard.

Sous l’uniforme de lieutenant, Émile était là, venu en congé. Silencieux et grave, il s’écartait d’elle doucement et détournait aussi la tête pour ne pas trop assister à cette goinfrerie. Il disserta doctement sur les intentions du comte d’Artois relatives au jeune clergé et à la jeune diplomatie. Il souhaita qu’Édouard fût admis à l’école des Chartes, qu’on fondait alors pour les gentilshommes. Il énuméra les avantages. Mais Denise enflait sa voix afin de couvrir cette conversation ennuyeuse, et elle cria son avis sur les plumes d’une coiffure arborée par Mme  Dorval dans le Château de Kenilworth, à la Porte-Saint-Martin. Émile dut se taire offensé. Le rouge envahit son front, entre les mèches de ses cheveux. Il rangea méthodiquement les argenteries de son couvert, et ne souffla plus mot. Au nom du duc de Berry, prononcé par un prêtre qui l’accusa timidement d’avoir affecté, toute sa vie, des allures