Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/533

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sur la table… Alors je lui ai répété mot pour mot ce que tu m’avais dit de tendre pour lui, et il baisait éperdument tes paroles sur ma bouche… Ah ! j’ai compris ce jour-là, que je ne saurais jamais le chérir qu’en t’écoutant l’aimer… Nous étions bénies de Dieu quand j’ai su que nous étions grosses du même mois, que nous mettrions, le même mois, au monde nos deux enfants, conçus au moment le plus fort de ton amour fraternel, de mon amour d’épouse… Et quand ils sont nés, les chérubins, comme nous avons pensé tous trois à voir un jour marcher par les chemins du parc, au printemps, le garçon et la fille qui lui ressembleraient et qui nous ressembleraient… Nous avons frémi de bonheur en imaginant quelles âmes, les nôtres, échangeraient leurs lèvres, le soir de leurs fiançailles… Nous nous serions vus vivre tous trois en eux deux, corps et cœurs… Te souviens-tu ?… Tu pleures, ma mie ? Tu pleures… Et cette enfant pleure sur mes genoux, Aurélie !… Et quand Dieu eut enlevé glorieusement Bernard à notre passion, comme il nous a paru qu’il continuait de vivre, puisque Édouard et Denise grandissaient côte à côte pour ce baiser des noces que nous avions rêvées ensemble… Tu pleures, Aurélie !… Tu pleures… Hélas ! rien n’est sûr de ce que nous proposons, en dehors de Dieu… Entends-tu, Denise entends-tu pleurer ta tante Aurélie ? Entends-tu, ainsi que moi, saigner son cœur goutte à goutte ?…

― Ma sœur, tu pourrais entendre saigner aussi le corps de notre père comme il saignait quand il désira ton mariage avec Édouard, sur le champ de bataille de Presbourg !

Omer articula religieusement ces mots. Il lui semblait que le mort habitait sa chair de fils, parlait en lui, et suppliait, par lui, sa sœur agenouillée dans cette robe rose, sa sœur qui sanglota plus fort, sa sœur qui n’était qu’une nuque frêle et fauve sous les cheveux