Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/548

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tait son écharpe de barège que des gens lui rattachaient aux épaules pendant qu’ils l’entraînaient, inerte dans la robe de percale brodée d’épis. Sur la face changeante une grimace livide entourait le cristal terni des yeux. Les dents claquaient avec un bruit dominant les rumeurs des curieux que dispersa tout de suite la brutalité des recors. Saisie par eux, hissée sous la capote d’un cabriolet, dont un policier prit les guides et détourna le cheval, Aquilina disparut dans l’instant même où s’imposait la certitude de sa présence. Stupéfait, Omer admit cette évidence : " elle n’est donc pas une espionne… elle est donc la sincère amante d’un martyr… " mais la quatrième charrette et ses gendarmes défilèrent, qu’il aperçut à peine. ― Bories !… Bories ! ― nomma l’immense rumeur de la foule. L’amant éperdu entrevit mal le jeune dieu palpitant et beau qu’acclamait l’émotion publique, comme le génie de la mort glorieuse. Le martyr passa, noble et serein, avec l’air d’un maître que salue son peuple. " mon Dieu, ― priait Omer, ― vous avez donc voulu faire dérisoire ma prudence ! Par cette femme, si je l’avais pu croire noble d’esprit, j’eusse approfondi le bonheur d’exister. Je le sentais bien ; j’en avais la foi, même. Hélas ! Ma ruse, ma ruse de faible, a soupçonné la ruse dans sa franchise. Mon erreur fut entière. J’ai évité celle de qui la passion eût fleuri ma jeunesse… je pourrais me mettre à la recherche d’Aquilina ?… dans quelle rue courir ? à quelles portes frapper ? Quelles malices affronter ? Parviendrai-je à découvrir où elle cache ses larmes ? La police me renseignerait ?… j’aurai honte d’indiquer ainsi ma luxure à des inconnus… au demeurant, suis-je assuré, à cette heure, de goûter auprès d’elle des plaisirs ?… rien n’est vrai de ce que je présume… certes, elle me garde rancune d’avoir