Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/159

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moi qui me dit que j’ai fait aussi bien, mieux peut-être qu’à l’ordinaire. » Il descendait lentement l’escalier du théâtre, lorsqu’il se sentit tiré par la manche. Il prit d’abord pour un pauvre l’homme assez mal vêtu qui cherchait à attirer son attention.

— Laissez-moi, lui dit-il avec humeur, je ne puis rien faire pour vous.

— Baptiste, lui dit cet homme, je t’ai écrit que je viendrais te voir après ton opéra. Arrête-toi un instant au moins, ne me reconnais-tu pas ?

Lully chercha en vain à rappeler ses souvenirs.

— C’est juste, continua l’inconnu, il y a bien près de quarante ans, et toi-même, si je ne l’avais entendu nommer, je ne t’aurais jamais reconnu ; nous nous aimions bien autrefois, cependant ; te souviens-tu de Petit-Pierre ?

— Petit-Pierre, s’écria Lully, il serait possible, vous seriez ?… Tu serais ?… Oh ! non, cela ne se peut pas, il doit être mort depuis si longtemps ; ne m’avoir pas donné de ses nouvelles, vous me trompez, vous n’êtes pas Petit-Pierre.

— Vous en doutez encore ? Eh bien ! rappelez-vous notre dernière entrevue, c’était en 1647 ; je fus cependant fouetté et chassé, qui plus est, pour vous, vous ne pouvez pas l’avoir oublié ?

— Oh ! non, certes, je me le rappelle parfaitement. Oui, oui, je te reconnais maintenant ; viens, viens chez moi, nous causerons, nous nous raconterons tout ce qui nous est arrivé, notre bon temps, celui où nous avions quinze ans ; viens, mon pauvre Pierre.