Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/194

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en le laissant tomber, celui-là ; et il me remit le violon que vous voyez. Eustache est ferblantier et son bourgeois lui avait donné de quoi me faire mon instrument avec des rognures de l’atelier, et puis il avait économisé de quoi avoir des cordes et du crin. Dam ! jugez si je fus content, ce pauvre garçon qui s’était donné tant de peine ; aussi le bon Dieu l’a récompensé : dès le matin il me mène à cette place en allant à la journée, et puis il vient me reprendre le soir ; et il y a des jours où la recette n’est pas trop mauvaise ; tellement que quelquefois il n’a pas d’ouvrage, et c’est moi qui fais aller la maison, c’est gentil ça.

— Eh bien ! dit Viotti, je vous donne vingt francs de votre violon ; vous pourrez en acheter un bien meilleur avec ce prix-là, mais laissez-moi un peu l’essayer.

Et il prit le violon. La singularité du son l’amusa ; il cherchait et trouvait des effets nouveaux, et ne s’apercevait pas qu’un public nombreux, attiré par ces sons étrangers, s’était amassé autour d’eux. Une foule de gros sous, parmi lesquels se trouvaient même quelques pièces blanches, vint tomber dans le chapeau de l’aveugle ébahi, à qui Viotti voulut remettre ses vingt francs.

— Un instant ! s’écria le vieux mendiant, tout à l’heure je voulais bien vous le donner pour 20 francs, mais je ne le savais pas si bon ; à présent je demande le double.

Viotti n’avait peut-être jamais reçu un compliment plus flatteur, aussi ne se fit-il pas prier pour la surenchère qu’on lui imposait. Il se glissa au milieu de la foule avec son violon de fer-blanc sous le bras ;