Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/217

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qu’un homme comme vous n’ait pas une si chétive somme à sa disposition ?

— Je l’avais, et au delà, répondit Rameau, mais j’ai été obligé de déposer 600 livres comme garantie d’un billet de pareille somme que j’ai fait à M. Pellegrin, en cas de non-succès démon opéra ; comme je suis convaincu qu’il réussira, je vous paierai avec cet argent.

Force était à M. Bazin de se contenter de cette réponse, mais il n’était pas trop satisfait, et le témoignait en grommelant chaque fois qu’il rencontrait Mme Rameau.

Le jour de l’audition vint enfin. M. de la Poplinière avait réuni chez lui ce qu’il y avait de plus distingué à la cour et à la ville pour entendre la musique de son protégé. Rameau était très-connu comme musicien de théorie, les ouvrages qu’il avait publiés sur la division du corps sonore, lui avaient acquis plus de renommée à l’académie des sciences que dans le monde, et on était assez peu favorablement prévenu sur le début d’un homme de cinquante ans dans une carrière qui demande avant tout de la vivacité et de la fraîcheur d’imagination. L’ouverture, comme toutes celles du temps, était un morceau fugué qui ne produisit que peu d’effet. Le premier chœur du prologue : Accourez, habitants des bois, fut mieux accueilli ; l’assemblée paraissait indécise, les grands seigneurs n’osaient se compromettre en applaudissant les premiers : les morceaux suivants furent donc écoutés avec un silence religieux. Rameau, qui conduisait la symphonie,