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LE BAISER DE NARCISSE


d’amour, dans sa barbe blanche. Il hésitait, ainsi qu’à contrecœur… Mais, comme le vieil architecte consentait, il dénoua l’étoffe fine qui lui ceignait les reins et sa nudité radieuse apparut.

La tête splendide de pureté, avec le front bas tout ombragé de cheveux drus, bouclés sur les yeux clairs, se détachait plus nerveuse encore et plus altière sur le cou veiné qui l’unissait à la poitrine blanche, au torse cambré. Une petite ligne brune faisait collier, séparant du corps pâle le visage et la nuque, mordorés par le soleil. Les épaules un peu étroites, à la peau moirée, indiquaient la grande jeunesse, ainsi que les bras, mal habitués aux violents exercices, et presque trop maigres. Mais les hanches polies, ombrées par la puberté saine, le sexe rond et ferme comme un fruit, les cuisses dures, les mollets élancés disaient quel mâle s’éveillerait dans cet enfant, aux jours de la force prochaine.

Ictinus, halluciné, demeurait là, oubliant de ramasser ses pinceaux, de préparer ses charbons.

« Eh bien ! l’Hypogète, que fais-tu là ? demanda Scopas qui, lui aussi, demeurait frappé par tant de beauté.

— Moi ? » balbutiait le jeune peintre…

Puis fiévreusement, arraché d’un coup à sa contemplation, il saisit sa palette, broyant, mastiquant, dessinant. Une subite facilité lui venait, d’avoir à interpréter la vie en place d’un songe. Car c’était bien le corps robuste et juvénile qu’il désirait, l’alliance de la force et de la grâce, la pose charmante et abandonnée que Milès, de lui-même, avait prise.

En un instant, il reconstituait sa composition, lavant les panneaux à grands gestes rageurs et précipités. Scopas le regardait se battre avec son inspiration. Petit à petit le thème se transformait, l’apparition surgie comme d’un rêve se fixait sur la fresque en contours imprécis d’abord, puis certains, infaillibles,