Page:Adelsward-Fersen - Et le feu s’éteignit sur la mer.djvu/148

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commence à comprendre la vie. Il m’a fallu, peut-être comme à toi, cette nature à la fois si vieille et si pure pour me connaître, pour savoir mes aspirations, ou mes regrets ; l’hérédité était trop lourde elle m’écrasait autrefois. À qui penses-tu… ? continuait-elle en voyant s’embuer les yeux du sculpteur.

— À maman, là-bas ; à maman qui n’a jamais connu rien de tout ceci — et dont la ville a étouffé la nostalgie, la raison, l’âme ! Comme je l’aurais aimée, protégée, et guérie ici !… Nelly, très remuée, le caressait doucement comme un enfant triste…

Cependant, de l’autre côté de la balustrade, couverts par une pergola rustique enchevêtrée de vignes, Serge et Muriel échangeaient d’autres paroles… Elle semblait haletante, pâlie, tourmentée. Lui, tout près d’elle, les yeux brillants, les sourcils froncés, la bouche humide, devait lui rappeler des souvenirs.

— Eh ! bien ! Muriel, petite cachottière ! Où es-tu ? Come on ! Venez ! Nelly, veux-tu parier qu’elle flirte avec le prince ? Alors Muriel, d’une voix claire, toujours dans son patois :

— Comment pouvais-tu dire ? Je tâchais cueillir some of these grapes. Et prompte comme l’éclair, défiant le danger, elle se haussait vers la treille et vers Minosoff. Les feuilles, remuées par ses mains agiles, n’eurent pas à couvrir le bruit du baiser…