Page:Adelsward-Fersen - Et le feu s’éteignit sur la mer.djvu/23

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diée déjà, Gérard se trouva un logement gentil, Boulevard des Batignolles, une seule pièce, par exemple, où c’était très embêtant d’ouvrir quand on mettait sa chemise, mais avec une grande baie lumineuse et gaie sur un de ces jardins improbables, charmants et abandonnés comme on en oublie dans Paris. Sur les recommandations de son père, il travailla d’abord un an avec Borodine, — le russe terroriste — premier animalier du monde, et qui entre deux ébauches de troïka au galop, combinait dans des petits tubes des mélanges à faire sauter des palais. Ce Borodine influença beaucoup l’adolescent. Comme Gérard Maleine sortait peu, allant quelquefois au théâtre et quelquefois au musée, que sa vie passionnelle se réduisait à quelques passades sans charme et sans chagrin et qu’il n’avait pas d’amis, sauf cinq ou six anciens camarades de collège, poètes ou peintres, il venait souvent le soir chez Borodine.

On s’y réunissait vers les neuf heures avec des airs calmes et mystérieux. Sur une table très simple fumait le thé dans un pot ordinaire, parent lointain du samovar. Les gens qui étaient là, le Maître avec sa tête kalmouke, yeux en vrilles étincelants, dominés par un front large aux cheveux drus, pommettes saillantes, nez à la Tolstoï, moustache où pendaient toujours des bouts de tabac provenant