Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/338

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manifesté son existence par un soupir à peine perceptible. D’un geste hébété, Goha la replaça sur ses genoux.

Dès lors, il ne songea plus à s’échapper et sa terreur tomba d’elle-même. Étroitement enserrée dans ses langes, sa petite tête vieillotte coiffée d’un bonnet trop large d’où émergeaient des lèvres charnues et des narines écrasées, l’enfant dormait. Goha la considérait de ses yeux mornes. Sa fille était plus qu’un fardeau mais ce qu’elle était, il ne le savait pas. Il avança sa main vers le corps menu, chercha à deviner, sous l’étoffe raide, des formes… et instinctivement son geste curieux devint une caresse. Maintenant il distinguait le souffle égal et tiède qui s’exhalait des lèvres de l’enfant et les battements légers de son cœur. Il se pencha vers ce mystère de vie tandis qu’une sensation agréable, douloureuse cependant, s’attardait le long de ses nerfs.

Il ressentait, mais à un degré plus intense, ce besoin de protection qu’un jour il avait éprouvé auprès de son âne. Il voulut témoigner son affection à cette petite chose faible, mais il craignit de lui faire du mal en la serrant dans ses bras. Il défit lentement la bande de toile roulée autour de son turban et en recouvrit le corps de sa fille pour qu’elle n’eût pas froid. Cela ne le contenta pas ; il sentait qu’il devait faire plus pour elle. Alors il lui parla, comme il avait parlé à son âne :

— Toi, tu es une petite Goha…

Il s’émut à ces mots et une larme glissa sur sa joue. Il répéta :