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approuvé, répété et il devint notoire dans le quartier que Goha portait malheur. La passive complicité de Hawa, qui se taisait quand de tels propos étaient tenus devant elle, donna du poids à cette calomnie. En réalité, la négresse n’y croyait pas. En affectant d’y ajouter foi, elle comptait bien faire admirer sa grandeur d’âme qui lui faisait garder et nourrir et protéger un être de malheur.

Goha se rendit compte qu’il était définitivement perdu. Son regard n’avait plus de franchise, il considérait tout, même les meubles, à la dérobée. Par instants, sans raison apparente, ses mains s’agitaient fiévreusement dans les plis de son caftan. Une sorte de rage le prenait parfois contre lui-même. Il avait faim, il avait soif, mais il ne voulait pas manger les fèves qui fumaient à portée de sa main et il se refusait de boire à la gargoulette qu’il voyait durant des heures, sur le rebord de la fenêtre.

La nuit, il attendait dans la rue que le rideau rouge s’écartât et que Hawa lui fît signe de rentrer. Les clients défilaient, un à un, toujours accompagnés de Sayed. Il luttait contre le sommeil qui pesait sur ses paupières et, pour occuper son esprit, se livrait à des calculs :

— Celui-là est un jeune, songeait-il. Les jeunes restent moins longtemps que les vieux. Je pourrai bientôt me coucher.

Lorsque le client sortait, Goha se levait précipitamment et portait la main à son front :

— Que Dieu te garde, Sidi, que Dieu te garde…

Il s’apprêtait à gagner sa chambre, mais il