Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/361

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pait des rôtisseries, il était insensible à la brise qui glissait sur sa nuque en sueur. Il n’avait conscience que de ses jambes, il était tout entier dans ses jambes, et ses jambes étaient en marche pour l’éternité.

Tout à coup il s’arrêta et ce fut si brusque qu’il faillit perdre l’équilibre. Un promeneur attardé venait de déboucher au fond d’une ruelle. Pour le voir sans être vu, Goha, le cœur battant, s’effaça contre un mur. Parvenu à quelques pas de Goha, le promeneur disparut par une porte qu’il referma derrière lui. Goha s’élança. Il considéra la porte close d’un œil morne, puis avec colère ; et soudain, il souhaita le mal à l’inconnu. Il eut envie de donner à cette porte un coup d’épaule, de la défoncer, pour voir dedans. Il voulait voir dedans. L’idée s’implanta dans son cerveau qu’après avoir vu, il pourrait prendre l’inconnu dans sa main et l’écraser comme un fruit mûr.

Il appliqua son œil à la serrure en retenant son souffle. Il ne vit rien. Il chercha une fissure. N’en trouvant pas, il se coucha par terre pour regarder sous la porte ; il essaya de glisser ses doigts dans l’ouverture, vainement. Il se redressa, haletant, et se remit en marche.

Devant chaque porte, il ralentissait le pas, réfléchissait à ce qu’il pourrait faire, pour voir. Le coup d’épaule, à force d’être contenu, grossissait dans ses muscles, Goha était sûr que s’il se décidait à le lâcher, ce coup d’épaule renverserait une maison. Mais il ne se décidait pas. De temps à autre, il s’approchait d’un mur, le touchait du