Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/43

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— Je n’en dors pas la nuit, dit Hellal.

— Je le jure par la prunelle de cet œil, dit Nassim en se tirant la paupière du bout des doigts, je n’ai plus envie de manger, ni d’aller, ni de venir…

Pour s’attirer les bonnes grâces de Mahmoud, elles s’indignaient contre ce mauvais fils qui avait affligé leur seigneur :

— Tu ne vaux pas l’ongle de ton père !…

— Même pas la rognure de son ongle !…

— La rognure de son ongle ! s’indigna Nassim. Êtes-vous fâchées contre Mahmoud pour comparer la rognure de son ongle à cet imbécile ?

Elles s’en allèrent enfin, satisfaites d’elles-mêmes, leurs gros ventres en avant et balançant les hanches. Dans l’antichambre, elles jetèrent un coup d’œil sur Mahmoud, cherchant à deviner s’il avait apprécié leur appui.

Les neuf sœurs de Goha s’ébranlèrent à leur tour. Prudemment elles sortirent de leurs coins, se mirent en file et, accrochées l’une à la robe de l’autre, longeant les murs, leurs yeux écarquillés braqués sur leur frère, elles se dirigèrent vers la porte. Leurs pieds se dégageaient nus, des gallabiehs droites, aux couleurs violentes. Un mouchoir bordé de paillettes recouvrait leurs cheveux crépus. Une petite tresse, que des fils de laine prolongeaient jusqu’à la taille, s’en échappait noire et chétive. Chacun de leurs mouvements agitait la turquoise et la gousse d’ail qu’elles portaient sur le front pour conjurer le mauvais sort.