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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Il fallut pour tirer Goha de sa torpeur, la voix grave de Cheik-el-Zaki :

— Comment, mon fils, tu restes ici au lieu d’escorter la mariée ?

Vivement impressionné par le reproche d’un savant éminent, Goha, sans rien dire, sans même rajuster son turban, se précipita dans la rue. Cependant la recommandation de ses parents lui revint à l’esprit. Il rentra chez lui et, pour concilier le désir de Cheik-el-Zaki et l’ordre de Mahmoud, il ferma à double tour le petit coffret, encerclé de cuivre et en emporta la clef.

Goha se hâtait vers la maison d’Abd-el-Rahman, père de l’épousée. Le soleil de midi tombait sur la cité comme un métal incandescent. De temps à autre, on apercevait un fellah couché au pied d’un mur, le visage couvert, les jambes nues. Plus rarement, une femme ramassée dans les plis sombres d’une mélaïa, reposait, semblable à une énorme volaille carbonisée. Une ombre humaine, noyée de lumière, disparaissait en silence par l’entrebâillement d’une porte. Tout ce qui vivait semblait une révolte, tout ce qui s’éloignait semblait disparaître à jamais.

La traînée de feu s’immobilise sur la ville ; les maisons ne respirent pas ; aucun geste dans la nature… El-Kaïra avec ses milliers de bâtisses blanches, avec ses ruines, ses cimetières, avec ses dômes innombrables, avec ses minarets flamboyants est touchée de mort et d’éternité, la minute embrasée s’est figée sur elle.

Soudain, venant on ne sait d’où, un bruissement