Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

les femmes entassées regardaient avidement dans le jardin. Nour-el-Eïn, débarrassée enfin de ses voiles, la gorge nue, le visage enlaidi par les fards, les paupières closes, laissait pendre ses bras chargés de pierreries. Elle portait, piquée dans son corsage, la fléchette d’or traditionnelle qui était un rappel du rite conjugal auquel elle allait se soumettre. Elle attendait avec une égale indifférence le geste brutal de son époux et sa première étreinte et répondait par un sourire figé aux paroles obscènes que les femmes chuchotaient à ses oreilles. Depuis dix heures que durait la cérémonie, elle s’abstenait de faire effort sur elle-même, de se recueillir, de s’interroger. Elle éprouvait une sorte de volupté à se sentir le jouet d’un destin contre lequel il eût été vain de réagir. Elle s’était conformée sans répugnance à la volonté de son père qui l’unissait à un homme dont jusque-là elle avait même ignoré qu’il existât. Elle s’était livrée aux mains des esclaves pour tous les préparatifs qui précèdent la nuit nuptiale. On avait décidé pour elle, et pour que le sentiment de son impuissance fût total, elle avait exagéré l’abandon d’elle-même, jusqu’à ne plus vouloir là où sa volonté aurait trouvé à se manifester. Au bain, elle se laissa épiler par des mains expertes, n’exprimant son impatience que par une imperceptible crispation des lèvres. On avait parfumé son corps, relié ses sourcils d’un trait noir et gras, on l’avait revêtue d’étoffes damassées, de voiles épais qui gênaient ses mouvements. Elle avait traversé El-Kaïra, étourdie par la chaleur,