Page:Affaire des déportés de la Martinique, 1824.djvu/143

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les régissent, et qu’on leur donne une législation en harmonie avec l’état actuel de la civilisation.

On ne motivera pas, sans doute, sur leur origine, un déni de justice. Au reste, elle n’a rien qui puisse la rabaisser au-dessous de celle des flibustiers, des boucaniers, des engagés ou des hommes flétris par l’opinion[1], qui ont composé la primitive population blanche des colonies, et dont les orgueilleux descendans forment aujourd’hui la caste privilégiée. Afin de nous en convaincre, remontons à la source, et nous verrons si elle est aussi impure qu’on affecte de le croire. Les Européens, ne pouvant se multiplier dans le climat insalubre des Antilles, se virent forcés de remplacer, par des esclaves exportés d’Afrique, les indigènes qu’ils avaient massacrés. Plusieurs de ces esclaves obtinrent, par la suite, la liberté : les uns, comme une récompense due à une conduite honorable, et les autres en se rachetant eux-mêmes du produit de leurs épargnes. Confondus avec les enfans issus de races européenne et africaine, ils formèrent la classe de gens de couleur libres, dénomination qui comprend toutes les nuances, depuis le Blanc jusqu’à l’Africain.

Cette classe, d’abord insignifiante, ayant progressivement acquis de l’importance, devint l’objet d’injustes préventions ; et les Blancs, à qui elle devait en partie son origine, ainsi qu’on vient de le démontrer, la flétrirent par des lois aussi haineuses qu’impolitiques, lois sous le poids desquelles elle gémit encore.

L’exposé de l’origine des gens de couleur libres nous mène naturellement à faire connaître le système d’injustices et d’oppression dont ils se plaignent, persuadés que le gouvernement, dont ils réclament la justice, n’a besoin que d’être éclairé pour leur faire droit. En effet, comment supposer qu’il tolérerait que ces mêmes gens de couleur libres, qui jouissent en France des droits civils et politiques, soient condamnés à des distinctions iniques, dans le lieu même de leur naissance, dans le lieu où l’Européen flétri va souvent trouver l’impunité, et augmenter le nombre des privilégiés.

Au reste, qu’a-t-on à leur reprocher dans les colonies ? Leur conduite y défie la censure ; ils puisent dans la religion le mobile de leurs actions ; ils sont soumis aux lois, et connaissent les règles immuables de l’honneur, dont ils ne s’écarteront jamais ; voilà leur profession de foi ! Que l’on nous dise

  1. Il est dit dans les Annales du conseil souverain de la Martinique, que la plupart des Européens qui composaient la première colonie de cette île étaient des va-nu-pieds, et les autres des échappés des prisons ; qu’ils se livraient à l’ivrognerie, etc.