Page:Affaire des déportés de la Martinique, 1824.djvu/157

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et ce que M. Chauveau-Lagarde, dans un mémoire qui a paru hier, nient également, d’après une intime conviction.

Le conseil partira de ce point qu’il existe une décision émanée d’une autorité compétente. Il se demandera quels peuvent en être les effets en France.

Supposé qu’il s’agît d’un jugement étranger (et les colonies sont un peu dans ce cas, car elles ont une autre constitution) ; le gouvernement français se croirait-il en droit de donner exécution à la déportation, en retenant ces individus sous l’autorité de sa police, ou dans ses prisons ? Évidemment non ; tous les auteurs du droit des gens vous disent que le pouvoir criminel d’un État ne s’étend pas au-delà de son territoire ; celui que l’on voudrait frapper ainsi d’une mesure répressive, n’ayant pas offensé les lois du pays, ne peut être passible d’aucune pénalité ; quel État voudrait se constituer le geôlier d’un autre État ?

La question est modifiée, sans doute, parce qu’il s’agit de l’acte d’un gouvernement colonial placé sous la souveraineté du roi de France. S. M. doit protection aux actes de ce gouvernement, lorsqu’ils sont légitimés par les lois. Cela est vrai ; mais alors il faut examiner avec soin la légalité de la décision qu’il s’agit d’attaquer, et ses effets légaux.

Or, en premier lieu, je soutiens que la colonie de la Martinique ayant été, par l’ordonnance du 12 décembre 1814, remise sous la protection de ses anciennes lois, il n’en existe aucune qui autorise les déportations sans jugement. Cela était pratiqué comme avant la révolution à l’égard des lettres de cachet ; mais cela n’a jamais été légal.

Je soutiens, en deuxième lieu, que l’arrêté ministériel du 10 septembre 1817, n’a pu recevoir d’exécution que dans les colonies où, par une loi antérieure, la liberté individuelle était suspendue. En effet, cette décision particulière n’est point une loi, ce n’est qu’une instruction pour l’exécution d’une loi préexistante. Je crois qu’elle n’est pas revêtue de la signature du roi ; quand même elle aurait cette signature, elle n’aurait pas la force et l’autorité d’une disposition législative ; car, remarquez-le bien, l’article 73 de la Charte porte que les colonies seront régies par des lois, et non pas seulement par des réglemens. Or, la liberté est certainement matière législative.

En troisième lieu, et supposé que la liberté individuelle dans la colonie de la Martinique soit soumise au pouvoir discrétionnaire du gouvernement de l’île, il est évident que ce droit extraordinaire d’exception ne peut pas dépasser la nécessité, ni les bornes assignées à sa juridiction.

Du moment donc que les quatre négocians détenus à Brest, ont été éloignés de la colonie, avec défense d’y rentrer, le droit de l’autorité administrative a été épuisé.