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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

glissa en toute hâte le long du couloir circulaire qu’occupaient d’habitude les pairs de France, et l’on sortit par la petite porte située à l’extrémité du côté gauche de la salle. Là, dans un corridor étroit et sombre, la princesse, heurtée, pressée, presque écrasée contre la muraille par un flux et un reflux d’envahisseurs et de fuyards, fut séparée de ses enfants et jetée tout éperdue au bas de l’escalier.

Plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’on parvînt à la dégager. À demi évanouie, elle se laissa entraîner, à travers la salle des Pas-Perdus, jusqu’à la seconde salle d’attente, où la foule n’avait pas pénétré encore ; mais on ne lui laissa pas le temps de respirer, et il lui fallut aussitôt, car on craignait pour ses jours, reprendre sa course, sans s’arrêter, par les couloirs qui communiquent avec l’hôtel de la présidence. Arrivée là, quand elle se vit seule hors de péril, la pauvre mère faillit perdre tout son courage ; elle appelait ses enfants à grands cris ; elle voulait retourner sur ses pas, les chercher, les arracher à la foule ou mourir avec eux. Si l’incertitude se fût prolongée, sa raison n’eût pas résisté, peut-être, à ces inexprimables angoisses.

Par bonheur, au bout de quelques instants, le comte de Paris lui fut rendu, et elle apprit avec certitude que le duc de Chartres était en sûreté. Tous deux avaient couru des dangers. Le comte de Paris était tombé sur les dernières marches de l’escalier, et peu s’en fallut que, dans l’obscurité du couloir, il ne fût foulé aux pieds. Un officier de sa maison, reconnaissant sa voix enfantine, l’avait saisi, emporté dans ses bras, et, l’ayant fait passer à travers une fenêtre basse qui ouvre sur le jardin de la présidence, il le ramenait à sa mère[1]. Au même moment, le duc de Chartres, arraché des mains d’un insurgé par le frère d’un

  1. En traversant le jardin, le petit prince, déjà remis de sa frayeur, et tout à la curiosité de son âge et de son rang, disait à l’officier qui le portait : « Mais n’est-ce pas, monsieur, qu’on ne m’empêchera pas d’être roi ? »