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HISTOIRE

huissier de la Chambre, M. Lipmann, était caché dans les combles du palais. Afin de le mieux déguiser, on lui mettait la robe d’une petite fille du concierge[1]. Vers huit heures du soir, MM. d’Elchingen et d’Houdetot allèrent le prendre pour le conduire chez madame de Mornay, qui demeurait dans le voisinage du palais Bourbon.

C’est à peine si madame la duchesse d’Orléans put un moment se livrer à la joie de retrouver l’un de ses enfants et de savoir l’autre sain et sauf[2] ; MM. de Mornay et Jules de Lasteyrie, ne la jugeant pas en sûreté à l’hôtel de la présidence, la décidèrent à chercher un refuge l’hôtel des Invalides. Elle s’y rendit dans une voiture de place, et M. le duc de Nemours, qui avait changé de vêtements dans un bureau de la Chambre[3] ne tarda pas à la rejoindre.

Le maréchal Molitor reçut comme il le devait ses hôtes royaux, sans dissimuler, toutefois, qu’il ne pouvait répondre de rien, dans le cas où la retraite de la princesse viendrait à être découverte par le peuple. Depuis ce moment jusqu’à six heures du soir, l’hôtel des Invalides vit éclore et s’évanouir bien des dévouements, bien des intrigues. Il se forma autour de la princesse une espèce de conseil. Des

  1. On avait voulu lui mettre la blouse d’un enfant d’ouvrier qui se trouvait là ; mais le duc de Chartres s’y refusa obstinément, parce que cette blouse était déchirée.
  2. Toutes les personnes qui firent preuve d’intérêt, pour les petits princes reçurent de généreuses marques de souvenir. Madame la duchesse d’Orléans envoya à M. Lipmann une épingle en diamant. La mère du petit garçon dont le duc de Chartres avait refusé la blouse reçut une chaîne en or. À quelque temps de là, M. Bastide, ministre des affaires étrangères de la République, témoignait aussi à M. Lipmann une sorte de gratitude en le nommant courrier de cabinet.
  3. Dans sa préoccupation, le duc de Nemours ne s’était pas aperçu qu’en changeant de costume il avait gardé sur sa tête le chapeau d’uniforme. Une personne qui se trouvait derrière lui au moment où il sortait du palais Bourbon le lui enleva brusquement et lui mit à la place un chapeau rond. Quand le prince se retourna, la personne avait disparu ; mais il était évident, d’après la qualité du chapeau échangé, qu’elle n’appartenait point à la classe aisée.