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HISTOIRE

froissé comme tant d’autres dans ses rapports personnels avec M. Guizot ; mais plus vindicatif et surtout mieux en mesure de donner cours à son désir de vengeance, il tendait vers ce but tous les ressorts de son esprit. Devinant bien que les promesses du banquet de Lisieux n’étaient qu’un leurre, il les avait inscrites en guise d’épigraphe en tête de son journal, et les rappelait en toutes circonstances à ses nombreux lecteurs. Le jour où M. Guizot fit son imprudente sommation aux conservateurs, M. de Girardin, comme pour marquer l’indignation d’une confiance subitement déçue, effaça l’épigraphe de la Presse et lui en substitua une autre extraite d’un discours de M. Desmousseaux de Givré, dans la séance du 27 avril. « Qu’a-t-on fait depuis sept ans ? s’était écrié ce conservateur poussé à bout, rien, rien, rien. » Ces trois mots devinrent la devise ironique de la Presse. À partir de ce jour elle se posa en accusatrice du ministère, et ne lui laissa plus aucun répit. Usant tantôt de ruses, tantôt de violence, M. de Girardin fut, pour M. Guizot, le plus dangereux des ennemis, parce que ayant longtemps servi sa politique, il en connaissait bien et en dévoilait sans scrupule les ressorts secrets.

Sans autorité dans la Chambre, sans ascendant sur les masses, M. de Girardin n’en était pas moins, par la vigueur de sa dialectique, par son habileté à tendre des piéges, par sa familiarité avec l’utopie, par une science de l’effet merveilleusement appropriée à l’état de nos mœurs, par la justesse acérée de son sens critique, un redoutable adversaire. Les blessures qu’il fit dans cette session au ministère conservateur furent des blessures mortelles ; mais on était loin encore de concevoir des inquiétudes sérieuses ; tout semblait, au contraire, justifier l’infatuation des ministres.

    mots et j’en rapporterai d’autres, en leur place, parce qu’en France les bons mots et les quolibets font partie intégrante de l’histoire politique.