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HISTOIRE

ne se servir enfin, en parlant de ce qu’il y a de plus idéal au monde, le génie d’un peuple exprimé dans ses institutions, que de locutions empruntées à la mécanique ! J’ai la certitude de ne pas faire ici une observation puérile. Rien n’est puéril dans ce qui tient essentiellement à la vie d’une nation ; il n’entre pas de hasard dans la formation des langues ; l’idiome d’un peuple, c’est ce peuple lui-même.

Mais les vues de l’opposition n’allaient pas si loin. Nous verrons bientôt qu’elle ne se piquait pas de logique. M. Barrot et son parti, ne voulant point comprendre que la source de la moralité publique était empoisonnée, s’inquiétaient seulement de la voir un peu trouble à la surface, et s’occupaient avec une conscience puérile à lui rendre sa limpidité en la faisant passer par le filtre de la réforme. Quant à M. Thiers, un certain goût pour les aventures révolutionnaires, le plaisir vaniteux de s’imposer à un roi réputé pour ses habiletés, par-dessus tout l’intempérance remuante d’un enfant gâté de la fortune, le jetaient en avant, à tous hasards, à tous risques, à tous périls. De son côté, le pouvoir, par simple répugnance pour le mouvement quel qu’il fût, répondait sans se lasser, tantôt que la mesure était inopportune, tantôt qu’il la trouvait dangereuse ; toujours que les ministres donneraient leur démission si elle était adoptée.

Ayant perdu l’espoir d’obtenir un résultat quelconque dans la lutte parlementaire, les radicaux, en 1840, avaient essayé de faire appel à l’opinion du dehors. Ils étaient parvenus à réunir cent mille signatures au bas d’une pétition ferme et explicite ; mais c’est à peine si cette pétition avait été discutée à la Chambre, tant l’opposition modérée répugnait à une alliance aussi scabreuse. Cette année, deux hommes de conviction, appartenant l’un au radicalisme tempéré, l’autre à la gauche dynastique, tentèrent, sans s’être entendus, un rapprochement politique qui leur paraissait l’unique moyen d’arracher quelques concessions à l’obstination du pouvoir. M. Carnot, fils de l’illustre con-