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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

disaient les Débats ; la prochaine, si elle n’était meilleure, serait funeste[1]. » Et ils disaient vrai. Le mépris et la colère du peuple commençaient à monter à la surface. Au retour d’une fête donnée par le duc de Montpensier à Vincennes, les équipages armoriés des convives, en traversant le faubourg Saint-Antoine, avaient été hués. « À bas les voleurs ! » criait-on sur leur passage ; et des pierres lancées dans les glaces des voitures donnaient à ces apostrophes un sens plus expressif. Aux obsèques du ministre de la justice, M. Martin (du Nord), des propos séditieux se proféraient à haute voix dans la foule. C’étaient autant de signes précurseurs d’une explosion prochaine. Elle fut hâtée par un événement tout à fait étranger à la politique, et qui n’avait aucune relation directe avec les causes générales de l’irritation populaire. Une femme encore belle et de mœurs irréprochables, fille d’un maréchal de France, fut assassinée avec une atrocité sans exemple par son mari, le duc de Praslin, qui n’échappa que par le suicide à la juridiction de la cour des pairs. Cet événement, longtemps inexpliqué, ce drame sanglant passionna le pays. Le nom de l’infortunée duchesse de Praslin courait de bouche en bouche et pénétrait jusque dans les campagnes les plus reculées. On s’abordait sans se connaître, sur les routes et sur les places publiques, pour se demander des éclaircissements et pour se communiquer une indignation qui ne se pouvait contenir. Le peuple, toujours si aisément ému par l’image d’une femme que sa faiblesse livre sans défense à la haine, se prit à maudire tout haut une société où se commettaient de tels forfaits. Il multiplia, il généralisa dans ses soupçons ce crime individuel. Cette tragédie

  1. Le gendre du duc de Broglie, M. d’Haussonville, conservateur zélé, l’un des 225 satisfaits, s’exprimait ainsi dans un article de la Revue des Deux-Mondes intitulé : de la situation actuelle : « N’avoir pas su la gouverner, cette majorité, tel est bien le tort réel du cabinet. Gouverner, c’est vouloir gouverner, c’est agir, c’est aussi faire les choses à propos et d’une façon qui les fasse valoir ; c’est savoir parler au besoin à l’imagination des peuples. »