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HISTOIRE

y revenir de loin en loin ; en ce jour, la séparation fut complète et parut devoir être définitive[1]. « Lamartine est une comète dont on n’a pas encore calculé l’orbite, » disait, au sortir de la séance du 27 janvier, un savant illustre[2]. Les applaudissements unanimes de la presse démocratique saluèrent cette conversion. Le parti conservateur, qui avait toujours raillé M. de Lamartine comme un rêveur sans consistance, mesura d’un œil chagrin l’étendue de sa perte.

Elle était grande, en effet ; à la tribune, M. de Lamartine compte peu de rivaux. Son improvisation abondante et colorée, éclatante jusqu’à l’éblouissement ; la mélopée sonore de sa diction qu’accompagnent un geste et un air de tête pleins de noblesse ; l’enroulement de ses périodes, qui se déploient et retentissent, dans leur majestueuse monotonie, comme les vagues sur la falaise, font de lui un orateur aux proportions grandioses. Rarement il se passionne, plus rarement encore il descend au ton familier. Ni la vivacité de la repartie, ni le droit de représailles, ne lui ont arraché jamais une personnalité, une parole amère, ou seulement un sarcasme. Sa pensée habite les régions sereines. La nature de son esprit est étrangère à l’ironie[3]. On pourrait même dire que le sens critique n’existe pas chez lui, et qu’il éprouve à un très-faible degré le besoin de la certitude. Son génie tout lyrique comprend à peine le scep-

    derne. Son système de charité sociale, entre autres, cette organisation de l’aumône, ne peut s’expliquer autrement.

  1. Le voyage en Orient eut, à cet égard, une influence sensible sur l’âme de M. de Lamartine. Il en rapporta et laissa depuis lors percer dans tous ses écrits un sentiment de vague panthéisme, très-conforme à son génie. Le christianisme, même tel qu’il l’avait conçu, dépouillé de tout dogme et de toute logique, était encore beaucoup trop précis dans sa morale et dans ses solutions pour cette nature essentiellement ondoyante
  2. M. de Humboldt.
  3. Tout ce côté de la nature humaine et du génie français en particulier lui est absolument étranger. Il n’a jamais lu Aristophane, il déteste Rabelais, il ne comprend ni Montaigne ni la Fontaine.