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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

et que les autres, s’en formant une idée fausse, supposaient immédiatement réalisable.

Si quelques éléments de la lutte ancienne entre la monarchie et la République, entre l’Église et l’État, avaient encore existé en France, à coup sûr on les aurait vus aux prises dans ces contrées de l’Ouest où la sincérité des croyances, la passion forte et grave eut dans tous les temps ses héros et ses martyrs. Le sang breton n’a pas dégénéré, et si le mot de république n’a pas rallumé ses ardeurs belliqueuses, c’est que les esprits et les cœurs, désabusés, détachés des objets de leur culte, rendus à eux-mêmes par l’expérience, étaient au fond plus véritablement républicains, dans leur indépendance un peu sauvage, que l’esprit de parti qui si souvent ailleurs usurpe le nom de républicanisme.

En 1848, la ville de Nantes, dont le commerce colonial et l’industrie avaient pris un grand développement sous le dernier règne, et qui comptait une population d’environ 100,000 âmes, était devenue assez indifférente en matière politique. Les querelles de partis s’étaient fort assoupies depuis 1830. La majorité du clergé, de la noblesse et de la haute bourgeoisie restait comme presque partout légitimiste, plutôt par bienséance que par conviction. La classe moyenne s’accommodait fort de la paix qui favorisait les entreprises commerciales et se croyait orléaniste. Le parti républicain, en très-petite minorité, se composait de radicaux proprement dits, qui suivaient la politique de la Réforme et de socialistes appartenant pour la plupart à la classe ouvrière.

Le commissaire chargé par M. Ledru-Rollin de proclamer la République à Nantes, le docteur Guépin, professeur à l’école de médecine, connaissait bien l’état des esprits. L’exercice de sa profession le mettait journellement en rapport avec toutes les classes de la société ; ses études scientifiques le disposaient à la tolérance ; aussi, quoiqu’on le sût favorable aux tendances socialistes, sa nomination produisit-elle une bonne impression sur l’opinion publique.