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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ministre de l’intérieur, le flatta et déploya toutes les ressources de son esprit pour prendre sur lui de l’ascendant. Il lui représenta avec force les périls auxquels l’exposait son alliance avec les ultra-révolutionnaires ; il lui montra Blanqui dans l’ombre, minant sous ses pas tous les chemins, disposant des embûches, aiguisant des poignards ; tout prêt, enfin, à donner un signal qui serait la perte, non-seulement de lui et des siens, mais de la République.

Pendant qu’il essayait ainsi d’arracher M. Ledru-Rollin aux conspirations et qu’il se servait du nom de Blanqui pour l’effrayer, il voyait secrètement le fameux chef de conjurés, essayait également sur lui la séduction de son beau langage et ne dédaignait même pas de pratiquer les plus obscurs entre les agitateurs de la place publique. Par un effet de son organisation d’artiste, il apportait dans ces pratiques infiniment moins de duplicité qu’on ne l’a supposé plus tard. Sans doute, quand il se rendait chez M. Ledru-Rollin, quand il se décidait à voir MM. Blanqui, Raspail, Cabet, de Flotte, etc., il agissait par calcul politique ; mais, dès qu’il se trouvait en présence de ces hommes passionnés, il subissait jusqu’à un certain point leur influence. Dans l’animation extrême de ses entretiens avec des esprits ardents, il se laissait pénétrer par je ne sais quelle électricité révolutionnaire ; il comprenait, il ressentait jusqu’à un certain point la fièvre de ces âmes agitées. Par un don naturel de poète, il parlait leur langue, il sympathisait avec leurs espérances ; il ne les trompait pas en leur tendant une main qui jamais depuis ne consentit à signer contre eux un acte de rigueur. M. de Lamartine, pas plus que M. Ledru-Rollin, n’eut, dans ces circonstances difficiles, de duplicité préméditée. Il parut quelquefois par élan d’imagination ce que M. Ledru-Rollin était par faiblesse de caractère : mobile et variable à l’excès, suivant l’heure et la circonstance ; mais il ne fut jamais perfide de parti pris ; il n’abusa jamais personne que dans la mesure où il s’abusait lui-même.