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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

dieuse ; n’était-il pas bien temps de marcher à l’ennemi ? Sur ce point, tous étaient d’accord dans les rangs bigarrés de cette bizarre milice. Recrutée, comme on l’a vu, au lendemain des barricades, la garde mobile était composée en presque totalité de l’essaim turbulent, et qu’on avait cru jusque-là indisciplinable, de ces enfants, vagabonds des rues et des carrefours, qu’on appelle gamins de Paris. Le reste était un mélange d’hommes de toutes conditions. Plusieurs venaient de ces régiments de soldats insubordonnés auxquels on donne en Afrique le sobriquet de zéphirs. Des fils de famille, croyant les temps glorieux de 92 revenus pour la République, s’étaient engagés dans un esprit tout patriotique, pour marcher à la frontière et pour échapper ainsi honorablement aux malheurs de la guerre civile. Des officiers et des sous-officiers de différents régiments de l’armée avaient été appelés pour instruire toute cette jeunesse dans le métier de soldat. Au temps dont je parle, le plus grand nombre était encore déguenillé ; beaucoup manquaient de chemises, de chaussures. Irrités de la lenteur qu’on apportait à les vêtir, ils allèrent plusieurs fois aux ateliers de Clichy réclamer leurs uniformes. Il y eut à cette occasion des querelles très-vives entre eux et les ouvriers tailleurs. Ce fut l’origine de la scission qui s’opéra entre ces enfants de prolétaires et les prolétaires, entre le peuple en blouse et le peuple en uniforme, scission qui, à peu de jours de là, parut, passive encore et comme inavouée, dans la journée du 16 avril, et qui se révéla deux mois plus tard dans un combat mortel.

J’ai dit que M. Marie secondait activement M. Marrast dans ses préparatifs de résistance. Le ministre des travaux publics fondait ses plus grandes espérances pour le jour de la lutte sur les ateliers nationaux. « Veillez à ce qu’ils soient armés, disait-il à M. Émile Thomas ; ne ménagez pas l’argent ; le jour n’est peut-être pas loin où il faudra les faire descendre dans la rue. » Et ne s’en tenant pas aux paroles, il leur avait fait allouer un crédit de cinq millions,