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HISTOIRE

Les murailles étaient couvertes de placards de toutes couleurs où vers et prose se disputaient l’attention des passants. C’étaient le plus souvent des dithyrambes en l’honneur de la révolution et du peuple français ; des appels à la fraternité ; des actions de grâces au gouvernement provisoire ; des hymnes à la République ; des exhortations au calme, à la concorde, au respect des propriétés ; c’était enfin l’expression naïve, confuse, exaltée, dans un langage incohérent, souvent grotesque, des meilleures pensées et des sentiments les plus honorables[1]. À chaque instant on voyait défiler, enseigne déployée, tambour en tête, de longues processions d’hommes, de femmes, d’enfants, qui marchaient en se tenant par la main, le visage rayonnant de joie, portant à l’Hôtel de Ville, dans des corbeilles ornées de rubans et de fleurs, le tribut volontaire, l’hommage reconnaissant d’un peuple qui se croyait devenu libre. Il n’y avait si pauvre corps d’état qui ne voulût présenter son offrande ; si humble profession qui ne tint pour un devoir de féliciter le gouvernement, de l’encourager au bien, de lui demander surtout de procurer au plus vite le bonheur universel ; il n’y avait si mince contestation qui ne prétendit à être vidée dans le conseil[2]. Dans le premier essor de cette vie nouvelle que la révolution faisait au prolétariat, dans cette communication perpétuelle de tous avec tous, le gouvernement était considéré par la candeur populaire comme une justice de paix ou comme un tribunal d’honneur qui devait redresser tous les torts, pacifier toutes les querelles, pourvoir à tous les besoins. Comme si le jour n’eût pas suffi à ces démonstrations de la joie et de l’espé-

  1. Les gens mêmes qui s’alarment le plus sont obligés de rendre témoignage à la douceur de la population. On n’est pas assez frappé du spectacle inouï que présente la France en ce moment. Dans aucun temps, dans aucun pays pareille chose ne s’était vue ; dans aucun temps, dans aucun pays, une société de trente-cinq millions d’hommes n’aurait pu être livrée à elle-même avec si peu de dommages. » (Journal des Débats, 29 mars 1848.)
  2. Voir aux Documents historiques, à la fin du volume, no 4.