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HISTOIRE

vriers, ils épièrent une occasion meilleure : elle ne devait pas se faire attendre.

Les interpellations sur les affaires de la Pologne, mises à l’ordre du jour du 15 mai, occupaient la population ; on pensa qu’elles y produiraient une émotion naturelle, assez générale pour qu’on pût espérer, à l’aide d’excitations dans les clubs et dans la presse, de pousser les masses à quelque extrémité. Le calcul ne manquait pas de justesse. Aucune cause ne fut jamais populaire en France à l’égal de la cause polonaise. Pendant les guerres du Consulat et de l’Empire, il s’était établi, entre nos soldats et les soldats polonais, une complète fraternité d’armes. L’enthousiasme pour Napoléon n’était pas moins vif en Pologne qu’en France. On trouvait l’image de l’Empereur aussi fréquemment dans les chaumières les plus reculées de la Lithuanie que l’image de Poniatowski dans la demeure des paysans de la Loire. La Varsovienne de M. Delavigne n’avait pas été chantée avec moins de passion dans nos rues que la Parisienne[1]. En 1831, les chansons de Béranger se vendaient par milliers au profit d’un comité polonais formé dans les bureaux du National, sous la présidence de la Fayette, et le plus illustre des républicains français s’intitulait avec complaisance : « premier grenadier de la garde nationale de Varsovie. »

En vain les ministres de Louis-Philippe auraient-ils voulu empêcher les Chambres de déclarer chaque année dans l’adresse au roi, qu’elles faisaient des vœux sincères pour le rétablissement de la nationalité polonaise ; elles n’en eussent pas moins persisté dans cette déclaration, suivant en cela le courant de l’opinion publique.

  1. On se rappelle ces vers célèbres de C. Delavigne :

    À nous Français ! les balles d’Iéna,
    Sur nos poitrines, ont inscrit nos services ;
    À Marengo le fer les sillonna ;
    De Champ-Aubert comptez les cicatrices.
    Vaincre et mourir ensemble autrefois fut si doux !
    Nous étions sous Paris… Pour de vieux frères d’armes
    N’aurez-vous que des larmes ?
    Frères ! c’était du sang que nous versions pour vous !