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HISTOIRE

gions de faire battre le rappel ; on le saisit au collet ; des sabres nus se lèvent sur sa tête ; on exige qu’il révoque l’ordre qu’il a donné. Le président se débat, résiste. Sur ces entrefaites, M. Degousée, qui vient du dehors, se glisse jusqu’à lui, et lui parlant à voix basse : « La garde nationale est réunie, lui dit-il ; avant un quart d’heure elle sera ici ; un peu de ruse pour gagner du temps, et l’Assemblée est sauvée. » M. Buchez alors feint de céder aux séditieux ; il signe sur des feuilles volantes, sans timbre et sans date, l’ordre de ne pas faire battre le rappel, certain, d’après ce qu’affirme M. Degousée, qu’il ne sera pas obéi, qu’on devinera la violence qui lui est faite. Les clubistes Flotte, Quentin, Laviron, s’emparent de ces feuilles. Un moment de calme succède au tumulte.

Les représentants sont toujours à leurs places ; quelques minutes s’écoulent. Barbès a quitté la tribune ; elle est assaillie, escaladée incessamment par des hommes qui semblent en proie au délire, et qui, le visage ruisselant de sueur, la lèvre écumante, le poing levé et se menaçant l’un l’autre, poussent des cris confus et font tous à la fois les motions les plus insensées. Tout à coup on voit apparaître sur le bureau un drapeau noir surmonté d’un bonnet rouge et d’une épée nue.

À la vue de ces emblèmes sinistres, M. Buchez, apercevant non loin de lui Huber, qui revient d’un long évanouissement : « Au nom du ciel, tirez-nous de là, lui dit-il, ce sont des scènes de Bicêtre. » Alors Huber, dont les intentions et les consignes sont depuis longtemps outre-passées, monte à la tribune et s’écrie d’une voix tonnante : « Citoyens, puisqu’on ne veut pas prendre de décision, eh bien ! moi, au nom du peuple français, trompé par ses représentants, je déclare que l’Assemblée est dissoute. » Aussitôt il prend des mains d’un de ses affidés une large pancarte qu’il élève au haut de la hampe du drapeau de son club et sur laquelle on lit, tracées en gros caractères, les paroles qu’il vient de prononcer :