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HISTOIRE

les fonctions d’accusateur public, prononça d’une voix solennelle le nom du traître : Lucien Delahodde. En s’entendant nommer, celui-ci bondit sur sa chaise et s’élança vers la porte. Caussidière l’avait devancé ; tirant de sa poche un pistolet, il lui barrait le passage. À cette vue, Delahodde recula et se mit à protester de son innocence ; mais le dossier qui contenait les rapports était sur la table ; les écritures furent confrontées et le délateur, confondu, vit qu’il n’avait plus qu’à implorer la miséricorde de ses juges. Ceux-ci, en proie à une colère violente, ne voulurent rien entendre ; Caussidière, s’avançant vers Delahodde, lui présenta son pistolet tout armé, en lui disant avec le plus grand sang-froid qu’il ne lui restait plus autre chose à faire, pour témoigner son repentir, que de se brûler la cervelle. Delahodde était terrifié, la sueur ruisselait de son front ; il tremblait, sanglotait ; il conjurait qu’on le laissât vivre. Alors Albert, touché de ses supplications, intervint en sa faveur. D’autres firent remarquer qu’un coup de pistolet donnerait l’alerte dans le quartier et trahirait une mort qui devait rester secrète. Quelqu’un proposa le poison. Un verre fut apporté ; Caussidière y jeta avec beaucoup d’ostentation une poudre de couleur blanche semblable à l’arsenic. Le malheureux Delahodde tenait toujours sa tête dans ses mains et tremblait de tous ses membres. Sur une nouvelle et plus vive intercession d’Albert, il fut résolu qu’on le laisserait vivre, mais qu’on le garderait au secret à la préfecture de police. Delahodde y resta, en effet, pendant quelque temps ; de là il fut transféré à la Conciergerie, où il demeura jusqu’à la chute de Caussidière. Mis en liberté par le nouveau préfet de police, il publia un libelle dans lequel il se vengeait par l’injure et par la diffamation de la torture morale qu’on lui avait fait subir au Luxembourg.

Que l’intention de mettre à mort Delahodde ait été sérieuse, c’est ce qu’il n’est guère possible d’admettre ; mais la convocation de ce tribunal secret, l’incarcération de